Chaque année entre janvier et mars, notre Martinique comme de nombreux pays européens et en Amérique, vit au rythme des vidés et défilés en fanfare et sur des chars personnalisés et s’habillent de costumes colorés : c’est le Carnaval ! 

Mais se souvient-on des origines de cette fête aux racines multiples ?

Comment est-elle perçue par nous, dans l’église catholique aujourd’hui ?

Les origines païennes du Carnaval

Depuis l’Antiquité, on retrouve à plusieurs endroits en Europe des traditions festives impliquant l’inversion des rôles dans la société (esclaves à la place des maîtres, enfants à la place des adultes, femmes à la place des hommes), des défilés et de la musique, de grands repas. Ces fêtes constitueraient les prémices du Carnaval actuel :

  • Les Sacées en Mésopotamie antique : au 2ème siècle avant Jésus-Christ, Babylone célébrait pendant 5 jours la déesse de la fécondité Anaïtis et le début du printemps
  • Les Dionysies et Anthestéries en Grèce Antique : au début du printemps, les grecs fêtaient Dionysos, le dieu de la fécondité, du vin et de la nature. 
  • Les Saturnales en Rome Antique : grandes festivités en l’honneur de Saturne, dieu de l’agriculture et du temps, qui durent 8 jours et ont lieu au solstice d’hiver. Bien que la période ne soit pas la même que celle de notre Carnaval actuel, on y retrouve l’inversion des rôles et l’élection d’un faux roi. Les festivités sont accompagnées de grands repas.
  • Lupercales : festivités ayant lieu à la mi-février en Rome Antique en l’honneur de Faunus, le dieu de la forêt, de la nature et des troupeaux.

Le Carnaval, une fête en lien avec la religion catholique

Au Moyen-Âge, l’Église catholique, d’abord opposée à ces festivités païennes, se les approprie peu à peu pour les faire coïncider avec la liturgie chrétienne. Le Carnaval est ainsi fixé de l’Epiphanie (le 6 janvier), au Mardi gras

Carnaval et Mardi gras : la fête avant le Carême

Le mot « carnaval », issu du latin médiéval « carnelevare », signifie « retirer » ou « enlever la viande » des repas. En effet, le carnaval devient la période où tous les excès de nourriture sont permis avant de devoir s’en priver, en particulier la viande durant le Carême. 

Les manifestations les plus importantes du carnaval se déroulaient durant les « trois jours gras », c’est-à-dire pendant les trois jours précédant le mercredi des Cendres. 

Moments de liberté et d’excès, les « jours gras » donnaient lieu à des défilés en musique, des célébrations et des mascarades. Les habitants pouvaient se déguiser pour estomper les différences sociales et porter des masques afin de se moquer en toute impunité de leurs dirigeants ou de leurs aînés.

Le carnaval était alors un lieu à forte charge politique. 

Les festivités culminent avec le Mardi gras, avant d’entrer dans la période du Carême, temps de 40 jours avant Pâques, un temps de conversion, de pénitence et de jeûne, introduit par le Mercredi des cendres. Le Mardi gras consiste alors à vider les réserves de nourritures grasses.

Interrogée sur le Mardi gras, Sœur Anne nous dit « qu’au-delà de ces considérations strictement culinaires, profitons de ce jour joyeux pour nous souvenir que le Carême n’est pas un temps triste. Nous pouvons l’aborder avec joie non seulement parce qu’il nous prépare à Pâques mais tout bonnement parce que c’est un temps favorable pour nous convertir et retrouver en profondeur le Seigneur qui nous comble de son amour ».

Le Carême, en effet, est un temps de joyeuse espérance. « Il s’agit de préparer la fête de Pâques, c’est à dire de la Résurrection du Christ d’entre les morts, de la victoire de la vie sur la mort. Le renouveau de la prière, l’insistance sur le partage et l’entraînement à la maîtrise de soi, tout spécialement recommandés pour le temps du Carême, nous invitent à la joie. »

https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/les-grandes-fetes-chretiennes/careme-et-paques/careme/434537-pourquoi-jeuner-pendant-le-careme/

Le Carnaval en Martinique

Il faut remonter aux premières décennies de la colonisation pour trouver la source de notre carnaval. En 1651, le gouverneur Jacques Dyel du Parquet achète la Martinique, Sainte-Lucie, Grenade et les Grenadines à une Compagnie des îles d’Amérique. Pour faire plaisir à son épouse, il décide d’organiser, au château de l’habitation La Montagne, des cavalcades et des fêtes burlesques, dans lesquelles les convives sont invités à arriver masqués. 

Au fil des ans, ces festivités se répandent, sur plusieurs grandes habitations, les jours précédant le mardi gras, qui marque alors le début du carême.

Les esclaves inventent un autre carnaval en introduisant tambours, ti bwa, toutoune bambou et conques de lambis qui viennent remplacer les clavecins, violons et violoncelles. Ils défilent organisés en convois, parfois déguisés en maître, sans risquer de représailles.

Après l’abolition de l’esclavage en 1848, les anciens esclaves transportent leur tradition de convois (l’ancêtre du vidé) dans les rues de Saint-Pierre. Les dimanches précédant mardi gras, des foules en liesse envahissent les rues, tandis que les riches défilent à cheval.

En 1906, 4 ans après l’éruption de la montagne Pelée à Saint-Pierre, Fort-de-France fait renaître le carnaval de ses cendres avec les premiers défilés organisés sur la place de la savane. 

Source : https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/aux-origines-du-carnaval-entre-traditions-europeennes-africaines-803249.html?

Spécificité antillo-guyanaise : alors que le Carnaval s’arrête le soir du Mardi Gras dans les autres pays, la coutume s’est installée de déborder sur le Mercredi des Cendres dans certaines îles de la Caraïbe (dont la Martinique et la Guadeloupe) et des pays d’Amérique du Sud (dont la Guyane). Les festivités se terminent ainsi le mercredi des Cendres par l’incinération de « Vaval » après le coucher du soleil.

Pour éviter « une certaine confusion entre le symbole chrétien des Cendres et les bûchers carnavalesques organisés ce jour-là » mais aussi « que les fidèles trahissent l’austérité du Carême en participant aux fêtes du Carnaval après avoir reçu les cendres », les évêques ont obtenu, en milieu du 20ème siècle, avec l’approbation spéciale du Vatican, une dérogation pour reporter le jour de l’imposition des cendres au vendredi qui suit le mercredi des Cendres, reportant ainsi la date de début du carême au vendredi au lieu du mercredi comme partout dans le monde. Concilier, pour les fidèles, l’entrée en carême et le dernier jour de carnaval pouvait sembler délicat.

Mais à partir de 2016, en concertation avec Mgr Jean-Yves Riocreux, évêque de Guadeloupe et Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Guyane, l’archevêque de Martinique, Mgr David Macaire, a décidé de replacer le début du Carême au mercredi des Cendres, en même temps que les fidèles du monde entier.

Ils déclarent : « Attendu que la maturité et la formation des fidèles a progressé depuis l’instauration de cette coutume et que ceux-ci, grâce à l’enseignement des pasteurs, font majoritairement bien la différence entre les rites païens et les rites chrétiens », les évêques de la province ecclésiastique de Fort-de-France ont décidé « de lever l’obligation d’appliquer cette coutume ».

Pour la Martinique, Mgr Macaire a ainsi décidé que la célébration d’entrée en Carême et de l’imposition des Cendres sera « célébrée normalement le mercredi des Cendres », sauf « dans les lieux où les festivités du carnaval gênent le recueillement et la sérénité ». La célébration pourra, dans ce cas, « être reportée au jeudi ou au vendredi suivant ».

https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/France/A-Martinique-aussi-Careme-commencera-mercredi-Cendres-2016-02-03-1200737332

Explication de Père Jean-Michel MONCONTHOUR sur la symbolique des jours carnavalesques

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Attention !

En présentant ici la symbolique des jours carnavalesques, cela ne traduit en rien une adhésion.

Nous avons proposé cet article pour mieux appréhender le carnaval, son histoire, origine, rites, symboles, etc. Comment, en différents lieux, différentes cultures, des hommes, des femmes, l’ont vécu et exprimé. Il ne s’agit donc pas ici, de censurer ou de parler seulement de la vision chrétienne du carnaval.

Mais il est bien entendu que, pour nous chrétiens, seul Dieu est source de vie, de bonheur et de bénédiction.

La symbolique des jours carnavalesques : 4 jours – 4 thèmes

  • Le dimanche gras : le roi Vaval est de sortie et parade avec les autres groupes. Jour de l’accueil, de l’ouverture et du rite d’entrée constitué par la réception de sa majesté et de sa reine. Il s’agit également de la résurrection ou la réincarnation de Vaval, revenu de cet autre bord de l’année et trop longtemps attendu.
  • Le lundi gras : fête du mariage burlesque autour de la symbolique de l’inversion. Ce jour-là, les hommes se déguisent en femmes et les femmes en hommes. Jour solennel de mise en scène ironique et critique des structures familiales créoles et de la société : la Famille, l’Etat et la Religion, ironie des mariages chrétiens (cortèges nuptiaux bénis par des faux curés lisant la Bible à l’envers, pratique affichée des remariages des divorcés, des maternités ou grossesse avancée, des « béni konmès » : le « Nou mayé kanmenm ». Nous assistons à un retour au chaos originel, au désordre, à une apparente profanation et transgression. Le carnaval instaure un nouvel ordre social symbolique. Il s’agit d’un ordre social à l’envers « où ce qui est en haut est comme ce qui est en bas” et inversement.
  • Le mardi gras : synonyme de joie, abondance et fécondité. Le mardi gras marque la fin de la « semaine des sept jours gras ». Deux personnages trônent ce jour-là : Vaval (apparent ennemi de la société qui empêche la prospérité) et papa diable (symbole de la fécondité, de la connaissance et de la prospérité).
  • Le mercredi des cendres : rite sacrificiel ? Le sacrifice qui est l’offrande d’une victime à une divinité. « La communauté dans son intégralité se retourne contre la victime sacrificielle. Le sacrifice dissipe les germes de dissensions au sein de la communauté en se polarisant sur la victime ». Vaval fait le sacrifice de sa personne et accepte la mort. Il est condamné et brûlé sur la place publique.

Source : Nicole Chésimar – Résumé de la conférence donnée par Père Jean Michel Monconthour en mars 2021 sur le thème : Le carnaval : un rite sacré ? Explications de cette tradition https://martinique.catholique.fr/883-actualites-diocese-martinique.htm?view=actualite&view_id=292

Mgr MACAIRE interpelle les catholiques

Dans le mot de l’Évêque publié sur le site diocésain le 13 février 2023, sous le titre « Si Vaval nous appelle Église en sortie. Église en repli », notre archevêque nous interpelle sur le carnaval pour un chrétien.

« Papiyon volé, sé volé nou ka volé ». Il est de bon ton pour les catholiques de fuir le Carnaval. Et pour cause ! Le Carnaval de Martinique, pour le peu qu’on en voit depuis quelques années, est devenu de plus en plus malélivé

Des âmes sensibles s’interrogent : même si des groupes réalisent de belles choses et de beaux costumes et que des chrétiens s’investissent encore çà et là, même si beaucoup d’éducateurs chrétiens tentent encore d’initier nos enfants à un carnaval propre et joyeux… comment pourrions-nous reconnaître notre culture et l’âme profonde de notre peuple à la vue de ces déferlements d’hubris et de stupre ? Comment ne pas souiller nos coeurs en étant spectateurs, voire acteurs de certains défilés de Carnaval qui semblent s’apparenter à une parodie pornographique et pré-orgiaque ? […]

Je voudrais interroger les milliers de fidèles qui, hier et aujourd’hui, ont été formés au cours des merveilleux temps d’évangélisation : Qu’avons-nous fait de notre baptême ? Qu’avons nous fait de l’onction de l’Esprit- Saint, des guérisons, des envois en mission ? Qu’avons-nous fait des charismes et de l’amour déversés sur nous ? Le temps ne viendra-t-il pas un jour d’aller sur les places et les parvis pour témoigner du Christ ? Que faire concrètement pour ceux qui se fourvoient ? […]

Mais il ne faut plus dormir sur nos deux oreilles, c’est l’heure de la mission : les assoiffés nous attendent. Le temps est proche.

+ Fr David Macaire op Archevêque de Martinique

https://martinique.catholique.fr/883-actualites-diocese-martinique.htm?view=actualite&view_id=288

Vivons le carnaval en chrétien, sans excès, dans le respect de soi-même et des autres. 

Enfants de Dieu, nous le sommes, même pendant le carnaval.